CHAPITRE 1

 

 

Miami, la ville des vampires. Nous sommes à South Beach au coucher du soleil, dans la somptueuse tiédeur de cet hiver sans hiver ; tout est propre, florissant et baigné dans l’éclairage électrique, la douce brise soufflant de la mer tranquille sur la marge sombre du sable couleur crème, pour venir rafraîchir les larges trottoirs pleins d’heureux enfants mortels.

C’est la douce parade des jeunes gens élégants étalant avec une touchante vulgarité leur musculature soigneusement exercée, des jeunes femmes si fières de leur silhouette aérodynamique et de leurs jambes modernes et apparemment asexuées, dans le discret mais insistant ronronnement de la circulation et des voix humaines.

De vieilles hostelleries de stuc, jadis médiocres refuges des gens âgés, renaissaient aujourd’hui dans de jolies couleurs pastel, affichant leurs nouveaux noms en fines lettres au néon. Des bougies vacillaient sur les tables aux nappes blanches des terrasses de restaurants. De grosses voitures américaines aux chromes étincelants se frayaient lentement un chemin sur l’avenue, tandis que conducteurs et passagers contemplaient l’éblouissante parade des hommes, des piétons nonchalants bloquant çà et là le trafic.

À l’horizon, les grands nuages blancs formaient des montagnes sous un ciel sans toit et empli d’étoiles. Ah ! cela ne manquait jamais de me couper le souffle, ce ciel du sud vibrant d’une lumière azurée et d’une agitation somnolente mais sans fin.

Au nord s’élevaient dans toute leur splendeur les tours du nouveau Miami Beach. Au sud et à l’ouest, les gratte-ciel d’acier étincelant du centre de la ville, avec ses autoroutes sur pilotis rugissantes et ses quais où s’amarraient des navires de croisière. De petits bateaux de plaisance filaient sur les eaux des innombrables canaux qui sillonnaient la ville.

Dans les calmes jardins immaculés de Coral Gables, des lampadaires innombrables illuminaient les belles et grandes villas avec leurs toits de tuiles rouges et leurs piscines scintillant sous une lumière turquoise. Des fantômes arpentaient les salles grandioses et sombres du Biltmore. Des palétuviers massifs projetaient leurs lourdes branches par-dessus des rues larges et soigneusement entretenues.

À Coconut Grove, les touristes du monde entier se pressaient dans les hôtels de luxe et les magasins à la mode : sur les balcons des grands immeubles aux parois de verre, des couples s’étreignaient, leurs silhouettes tournées vers les eaux sereines de la baie. Les voitures filaient sur les chaussées encombrées, bordées de palmiers frémissants et d’arbres-à-la-pluie délicats, et longeaient les hôtels particuliers cossus drapés de bougainvillées rouges et violettes, derrière leurs grilles en fer forgé.

C’est tout cela, Miami, cité de l’eau, de la vitesse, des fleurs tropicales, cité des ciels immenses. C’est pour Miami, plus que pour tout autre endroit, que périodiquement je quitte ma résidence de la Nouvelle-Orléans. Des hommes et des femmes de bien des nations et de bien des couleurs différentes vivent dans les quartiers surpeuplés de Miami. On entend du yiddish, de l’hébreu, des langues hispaniques, le patois de Haïti, les dialectes et les accents de l’Amérique latine, du Sud profond des États-Unis et ceux aussi du Nord lointain. On sent la menace sous la surface brillante de la cité, le désespoir et une vibrante cupidité ; on trouve là le pouls régulier et profond d’une grande capitale, l’énergie qui broie sourdement, le risque perpétuel.

Il ne fait jamais vraiment sombre à Miami ; ça n’est jamais non plus vraiment calme.

C’est la ville parfaite pour un vampire ; et elle ne manque jamais de me fournir quelque meurtrier mortel, un morceau de choix sinistre et pervers qui me livrera une douzaine des crimes qu’il a commis tandis que je vide les banques de sa mémoire et que je bois son sang.

Ce soir, c’était la Chasse au Gros Gibier, la fête pascale après un long carême – la poursuite d’un de ces superbes trophées humains dont la macabre technique emplit des pages dans les dossiers informatiques des agences de maintien de l’ordre qu’entretiennent les mortels, un être dont la presse en extase avait couronné l’anonymat d’un nom tapageur : « L’Étrangleur de l’ombre. »

Ce sont ces tueurs-là que je convoite !

Quelle chance pour moi qu’une pareille célébrité eût fait surface dans ma ville préférée. Quelle chance qu’il ait frappé à six reprises dans ces rues mêmes – assassinant les vieux et les infirmes venus en si grand nombre finir leurs jours sous ces doux climats. Ah ! j’aurais traversé un continent pour l’attraper, mais il était ici à m’attendre. À sa sombre histoire, rapportée en détail par pas moins de vingt criminologues, et que je me suis procurée sans difficulté grâce à l’ordinateur de mon antre de La Nouvelle-Orléans, j’ai ajouté en secret les éléments cruciaux : son nom et son domicile mortel. Un tour bien simple pour un dieu ténébreux qui peut lire dans les pensées. C’est par ses rêves ensanglantés que je l’ai retrouvé. Et ce soir j’aurai le plaisir de mettre un terme à son illustre carrière dans une sombre et cruelle étreinte, sans la moindre étincelle d’illumination morale.

Ah ! Miami. L’endroit parfait pour ce petit Mystère de la Passion.

Je reviens toujours à Miami comme je reviens à la Nouvelle-Orléans. Et je suis maintenant le seul immortel à hanter ce coin glorieux du Jardin Sauvage car, comme vous l’avez vu, les autres ont depuis longtemps abandonné notre maison commune, chacun incapable de supporter la compagnie d’autrui tout autant que je ne peux tolérer la leur.

Et tant mieux puisque j’ai Miami pour moi tout seul.

J’étais debout derrière les fenêtres donnant sur la rue de l’appartement que je conservais dans l’élégant petit Park Central Hôtel sur Océan Drive, et je laissais de temps en temps mon ouïe surnaturelle balayer autour de moi les chambres dans lesquelles les riches touristes savouraient cette sorte de solitude qui n’a pas de prix – la tranquillité parfaite à quelques pas seulement de la rue tapageuse – mes Champs-Élysées du moment, ma via Veneto.

Mon étrangleur était presque prêt à passer du royaume de ses visions spasmodiques et fragmentaires dans le domaine de la mort littérale. Ah ! il était temps que je m’habille pour l’homme de mes rêves.

Dans le désordre habituel des cartons, des valises et des malles à peine ouvertes, je choisis un costume de velours gris, un de mes préférés, surtout quand le tissu est épais, avec seulement un soupçon de lustre. Cela ne convenait guère à ces nuits tièdes, il me fallait bien en convenir, mais il est vrai que je ne ressens pas la chaleur et le froid comme les humains. La veste était cintrée avec des revers étroits, très simple et un peu comme une veste de cheval avec sa taille ajustée ou, plutôt, comme les élégantes redingotes du temps jadis. Nous autres immortels, nous apprécions toujours les toilettes démodées, les vêtements qui nous rappellent le siècle où nous sommes Nés aux Ténèbres. On peut parfois évaluer l’âge véritable d’un immortel simplement à la coupe de ses vêtements.

Avec moi, c’est aussi une question de tissu. Le dix-huitième siècle était si brillant ! Je ne peux pas supporter de ne pas avoir un peu de lustre. Et cette superbe veste m’allait parfaitement avec le simple pantalon de velours moulant. Quant à la chemise de soie blanche, elle était d’un tissu si doux qu’on pouvait la rouler en boule dans le creux de la main. Pourquoi porter autre chose si près de ma peau indestructible et étrangement sensible ? Puis les bottines. Ah ! elles se ressemblent toutes mes belles chaussures récentes. Leurs semelles sont immaculées, car elles touchent si rarement la terre nourricière.

Je secouai mes cheveux pour leur donner leur aspect habituel d’épaisse crinière tombant sur mes épaules en ondulations d’un blond étincelant. Pourquoi ressemblerais-je aux mortels ? Franchement je n’en sais rien. Comme toujours je masquai mes yeux bleus derrière des lunettes noires, de crainte que leur éclat n’hypnotise et ne fascine au hasard le quidam – c’est vraiment agaçant – et sur mes délicates mains blanches, avec leurs ongles vitreux trop révélateurs, j’enfilai ma paire habituelle de gants de daim gris.

Ah ! un soupçon de camouflage brun pour la peau. J’étalai la potion sur mes pommettes, sur le peu de cou et de poitrine exposés au regard.

J’examinai le résultat dans le miroir. Toujours irrésistible. Pas étonnant que j’aie fait un tel tabac durant ma brève carrière de chanteur de rock. Et j’ai toujours eu un succès fou comme vampire. Grâces soient rendues aux dieux que je ne sois pas devenu invisible dans mes insouciantes déambulations, un vagabond flottant bien au-dessus des nuages, léger comme une cendre dans le vent. J’avais envie de pleurer quand j’y pensais.

La Chasse au Gros Gibier me ramenait toujours à la réalité. Le traquer, l’attendre, le saisir juste au moment où il allait donner la mort à sa prochaine victime et le prendre avec une douloureuse lenteur, tout en festoyant sur sa perversité, en ayant un aperçu de ses premières victimes par les immondes hublots de son âme…

Comprenez-moi bien, je vous en prie, il n’y a là-dedans aucune noblesse. Je ne crois pas que sauver un malheureux mortel d’un tel monstre puisse le moins du monde assurer le salut de mon âme. J’ai trop souvent pris la vie. À moins qu’on n’estime que le pouvoir d’une seule bonne action est infini et je ne suis pas sûr d’en être convaincu. Ce dont je suis persuadé, c’est ceci : le mal que représente un seul meurtre est infini, et ma culpabilité est comme ma beauté, éternelle ; je ne saurais me faire pardonner car il n’y a personne pour me faire grâce de tout ce que j’ai fait.

J’aime néanmoins sauver ces innocents de leur destin. Et j’aime bien amener à moi des tueurs car ils sont mes frères, nous sommes de la même race et pourquoi ne mourraient-ils pas dans mes bras à la place d’un pauvre et pitoyable mortel qui jamais n’a fait délibérément de mal à personne ? Ce sont là mes règles du jeu. Je les applique parce que c’est moi qui les ai faites. Et je me suis promis que je ne laisserais pas les corps traîner cette fois-ci ; je m’efforcerai de faire ce que les autres m’ont toujours ordonné de faire. Mais quand même… j’aimais bien laisser la carcasse pour les autorités. J’aimais bien après cela allumer l’ordinateur une fois rentré à La Nouvelle-Orléans et lire tout le rapport d’autopsie.

Je fus soudain distrait par le bruit d’une voiture de police passant lentement en bas de l’immeuble, ses occupants parlant de mon tueur, disant qu’il n’allait pas tarder à frapper de nouveau, que les étoiles avaient juste la bonne configuration, que la lune était à la bonne hauteur. Ce serait très certainement dans les petites rues de South Beach, comme cela avait déjà été le cas. Mais qui était-il ? Comment l’arrêter ?

Sept heures. Les petits chiffres verts de ma montre digitale me l’ont dit, même si bien sûr je le savais déjà. Je fermai les yeux, laissant ma tête pencher un peu de côté, me préparant peut-être au plein effet de ce pouvoir que je méprisais tant. D’abord vint une nouvelle amplification de ce que j’entendais comme si j’avais tourné quelques boutons d’un appareil moderne. Les douces rumeurs du monde devinrent un chœur venu de l’enfer – plein de rires aigus et de lamentations, de mensonges, d’angoisses et de supplications. Je me couvris les oreilles comme si cela pouvait mettre un terme à ce vacarme, puis je finis par couper le contact.

Je distinguai peu à peu les images brouillées et superposées de leurs pensées, montant dans le firmament comme un million d’oiseaux battant des ailes. Donnez-moi mon tueur, donnez-moi sa vision !

Il était là, dans une petite pièce minable, très différente de celle où je me trouvais, et pourtant seulement à deux blocs d’ici, et il sortait tout juste de son lit. Ses vêtements bon marché étaient froissés, la sueur baignait son visage sans grâce, une main épaisse et nerveuse cherchait des cigarettes dans sa poche de chemise, puis y renonçait – déjà il avait oublié. C’était un homme solidement bâti, avec un visage aux traits flous et une expression de vague inquiétude ou d’obscur regret.

L’idée ne lui vint pas de s’habiller pour la soirée, pour la Fête qu’il attendait avec impatience. Et voilà maintenant que son esprit en train de s’éveiller s’effondrait presque sous le fardeau de ses horribles rêves. Il s’ébroua, de longues mèches graisseuses tombant sur son front fuyant, ses yeux comme des éclats de verre noir.

Immobile dans l’ombre silencieuse de ma chambre, je continuai à le traquer, à le suivre dans un escalier de service et sous les lumières crues de Collins Avenue, devant des vitrines poussiéreuses, des enseignes pendantes ; il allait, poussé vers l’inévitable objet de son désir qu’il n’avait pourtant pas encore choisi.

Et qui pourrait-elle bien être, l’heureuse créature, allant aveuglément et inexorablement vers cette horreur, parmi la triste foule clairsemée du début de soirée dans cette sinistre partie de la ville ? Porte-t-elle une bouteille de lait et un cœur de laitue dans un sac à provisions ? Va-t-elle se hâter en apercevant les coupe-gorge au coin de la rue ? Pleure-t-elle la disparition du vieux front de mer où elle vivait peut-être paisiblement avant que les architectes et les décorateurs ne l’aient reléguée plus loin vers des hôtels à la peinture écaillée ?

Et que pensera-t-il quand il finira par la repérer, cet horrible ange de la mort ? Sera-ce elle qui lui rappellera la mégère mythique de son enfance, qui ne le rouait de coups que pour accéder au panthéon de cauchemars de son subconscient, ou bien est-ce trop demander ?

Je veux dire qu’il y a des tueurs de cette espèce qui ne font pas le moindre rapprochement entre le symbole et la réalité et qui ne se souviennent de rien qui remonte à plus de quelques jours. La seule certitude, c’est que leurs victimes ne méritent pas leur sort mais que eux, les meurtriers, méritent bien de me rencontrer.

Ah ! ma foi, je lui arracherai ce cœur menaçant avant qu’il ait eu l’occasion de lui « faire son affaire », et il me donnera tout ce qu’il a et tout ce qu’il est.

Je descendis les marches à pas lents et traversai l’élégant hall art déco avec son clinquant de magazine. Que c’était bon de se déplacer comme un mortel, de toucher les portes vitrées par leurs barres chromées, de déambuler dans l’air frais. Je suivis le trottoir vers le nord, parmi les promeneurs du soir, mon regard errant tout naturellement sur les hôtels récemment rénovés et leurs petites terrasses de café.

Quand j’atteignis le coin, la foule s’épaissit. Devant un élisant restaurant en plein air, de gigantesques caméras de télévision braquaient leurs objectifs sur un secteur de trottoir éclairé sans merci par d’énormes faisceaux blancs. Des camions bloquaient la circulation ; des voitures ralentissaient tandis que passagers et conducteurs regardaient. Une petite foule s’était rassemblée de jeunes et de vieux, juste modérément fascinée, car, dans le voisinage de South Beach, les caméras de télévision et de cinéma étaient un spectacle familier.

Je contournai les lumières, redoutant leur effet sur mon visage qui les reflétait si fort. Ah ! que n’étais-je un de ces êtres à la peau bronzée, sentant les huiles solaires coûteuses, à demi nu dans de fragiles cotonnades. Je tournai le coin et là, de nouveau, je cherchai l’image de ma proie. Il courait, l’esprit tellement plein d’hallucinations que c’était à peine s’il pouvait maîtriser ses pas traînants.

Il ne restait pas beaucoup de temps.

Poussant une petite pointe de vitesse, j’allai me réfugier sur les toits bas. La brise était plus forte, plus chargée de parfums. Doux étaient à mes oreilles la rumeur des voix excitées, le chant étouffé des radios, le bruissement du vent lui-même.

En silence, je surpris son image dans le regard indifférent de ceux qui le croisaient ; en silence, je revis ses fantasmes de mains et de pieds flétris, de joues creuses et de seins ratatinés. La mince membrane qui séparait l’illusion de la réalité était en train de se rompre.

J’atterris sur le trottoir de Collins Avenue si rapidement peut-être que je semblai simplement apparaître. Mais personne ne regardait. J’étais l’arbre du proverbe tombant au milieu de la forêt déserte.

Pendant quelques minutes, je marchai d’un pas tranquille à quelques mètres derrière lui, jeune homme peut-être un peu menaçant, fendant les petits groupes de durs qui me barraient le chemin, poursuivant ma proie à travers les portes vitrées d’un énorme drugstore climatisé. Ah ! quel cirque pour l’œil que cette grotte au plafond bas, pleine à craquer de tout ce qu’on pouvait imaginer d’empaquetable en matière d’aliments, d’articles de toilette et de produits capillaires, dont 90 % n’existaient absolument pas dans le siècle où j’étais né.

Nous parlons ici serviettes hygiéniques, collyres pour les yeux, épingles à cheveux en matière plastique, crayons feutres, crèmes et onguents pour toutes les parties imaginables du corps humain, liquides à laver la vaisselle de toutes les couleurs de l’arc-en-ciel et produits de rinçage pour les cheveux dans certaines nuances jamais encore inventées et pas encore définies. Imaginez Louis XVI ouvrant un petit sac en plastique plein de telles merveilles. Que penserait-il des tasses à café en polystyrène expansé, des galettes au chocolat enveloppées dans de la cellophane ou de stylos qui ne manquent jamais d’encre ?

Ma foi, je ne suis pas encore tout à fait habitué moi-même à ces articles, bien que cela fasse deux siècles que j’observe de mes propres yeux les progrès de la révolution industrielle. Ce genre de magasin peut me fasciner pendant des heures d’affilée. Il m’arrive parfois de m’arrêter, envoûté, au beau milieu d’un Prisunic.

Cette fois, j’avais une proie dans ma ligne de mire, n’est-ce pas ? Il faudrait attendre pour Time et pour Vogue, pour les traductrices de poche et les montres qui continuent à vous donner l’heure même quand on se baigne dans la mer.

Pourquoi était-il donc venu, lui, dans cet endroit ? Les jeunes familles cubaines avec des bébés en remorque, ce n’était pas son style. Pourtant il déambulait sans but dans les allées, sans se soucier des centaines de visages sombres, des phrases en espagnol qui jaillissaient autour de lui, sans que personne d’autre que moi ne le remarque, tandis que ses yeux noirs aux paupières rougies balayaient les rayons surchargés.

Seigneur Dieu, mais qu’il était crasseux : dans sa folie il avait perdu tout sens des convenances, avec son visage taillé à coups de serpe et son cou incrusté de crasse. Est-ce que je vais aimer ça ? Bah, c’est un sac de sang. Pourquoi forcer ma chance ? Je ne pourrais plus tuer de petits enfants, n’est-ce pas ? Ni me repaître de putains du front de mer, en me disant que c’est très bien comme ça, car elles ont contaminé leur lot de mariniers. Ma conscience me tue, vous savez. Et quand on est immortel, ça peut être une mort vraiment interminable et ignominieuse. Eh oui ! regardez-le, ce meurtrier sale, puant, au pas lourd. En prison, les hommes ont droit à un meilleur régime que ça.

Et puis l’idée me frappa tandis qu’une fois de plus j’examinais son esprit comme si j’ouvrais un melon. Il ne sait pas ce qu’il est ! Il n’a jamais vu les gros titres qui le concernent ! De fait, il ne se souvient des épisodes de sa vie dans aucun ordre logique, il ne pourrait en vérité avouer les meurtres qu’il a commis, car il ne se les rappelle pas vraiment et il ne sait pas qu’il va tuer ce soir ! Il ne sait même pas ce que je sais !

Ah ! tristesse et chagrin, j’avais tiré la plus mauvaise carte, pas de doute là-dessus. Oh, Seigneur Dieu ! À quoi pensais-je donc pour aller chasser celui-là, quand il y a sous le ciel tant de monstres plus pervers et plus rusés ? J’en aurais pleuré.

Sur ce vint le moment clef. Il avait vu la vieille femme. Il avait vu ses bras nus et fripés, la petite bosse de son dos, ses cuisses maigres et tremblantes sous son short pastel. À la lumière des rampes au néon, elle avançait sans but, savourant le brouhaha et la rumeur de ceux qui l’entouraient, son visage à demi dissimulé sous une visière en plastique vert, les cheveux ramenés par des épingles sombres sur sa nuque menue.

Elle portait dans son petit panier un demi-litre de jus d’orange en emballage plastique et des chaussons si mous qu’ils se repliaient en une petite boule bien nette. Et elle ajoutait à cela, avec un évident ravissement, un roman de poche pris sur le présentoir, qu’elle avait déjà lu, et qu’elle caressait tendrement, en rêvant de le relire, comme on rend visite à de vieilles connaissances. Le Lys de Brooklyn. Oui, je l’avais aimé aussi, celui-là.

Comme en transe, il lui emboîta le pas, si près qu’elle sentait sûrement l’haleine de l’homme sur son cou. L’œil morne et stupide, il la regardait tandis qu’elle approchait de plus en plus près de la caisse, tirant quelques dollars crasseux du col bâillant de son corsage.

Ils sortirent dans la rue, lui du pas lourd et pesant d’un chien qui suit une chienne en chaleur, elle progressant lentement avec son sac à provisions chargé, contournant en les évitant de son mieux les bandes bruyantes et insolentes de jeunes en maraude. Se parle-t-elle à elle-même ? On dirait. Ce n’était pas elle que balayait le faisceau de mon regard intérieur, pas cette petite créature qui marchait de plus en plus vite. Ce que je suivais, c’était le monstre derrière elle.

Des visages blêmes et flous traversaient son esprit tandis qu’il la suivait à la trace ; il voyait ses seins pendants et ses mains sillonnées de veines comme des racines. Il avait hâte de s’allonger sur cette chair vieillie ; de poser une main sur cette vieille bouche.

Quand elle arriva devant son petit immeuble sinistre, qui, comme tout le reste de ce quartier misérable de la ville, avait l’air bâti d’une sorte de craie qui s’effritait et gardé par des palmistes malmenés par les orages, il s’arrêta soudain en se balançant, l’observant sans rien dire tandis qu’elle traversait l’étroite cour carrelée et montait les marches de ciment verdâtres et poussiéreuses. Il nota le numéro peint sur sa porte au moment où elle l’ouvrait, ou plutôt il se fixa sur place et, se plaquant contre le mur, il se mit à rêver très précisément de la tuer, dans une chambre vide et anonyme qui ne semblait guère être plus qu’une tache de couleur et de lumière.

Ah ! regardez-le qui s’appuie contre le mur comme s’il avait reçu un coup de poignard, la tête penchée de côté. Impossible de s’intéresser à lui. Pourquoi ne pas le tuer tout de suite !

Cependant, le temps filait et la nuit perdait son incandescence crépusculaire. Les étoiles se faisaient de plus en plus brillantes. La brise arrivait par bouffées.

Nous attendions.

À travers ses yeux à elle, je voyais son salon comme si mon regard pouvait vraiment traverser murs et planchers : une pièce propre, encore qu’encombrée de vieux meubles dépareillés au vilain plaquage, des meubles voûtés qui ne comptaient pas pour elle. Mais tous avaient été astiqués avec une huile parfumée qu’elle adorait, provenant d’un flacon rangé avec soin. La lumière du néon filtrait à travers les rideaux de dacron, laiteuse et sans joie comme la vue sur la cour en bas. Néanmoins la vieille femme avait aussi la réconfortante lumière de ses petites lampes disposées avec amour. C’était ce qui comptait pour elle.

Elle s’installa dans un fauteuil à bascule en acajou tapissé d’un abominable écossais, silhouette menue mais digne, un livre de poche ouvert à la main. Quel bonheur de se retrouver avec Francie Nolan. Le peignoir de coton à fleurs qu’elle était allée prendre dans sa penderie cachait à peine ses genoux maigres et elle portait à ses petits pieds déformés des chaussons bleus qui ressemblaient à des chaussettes. Elle avait ramené ses longs cheveux gris en une grosse tresse.

Devant elle, sur le modeste écran de la télévision en noir et blanc des vedettes de cinéma disparues discutaient sans un son. Joan Fontaine croit que Cary Grant essaie de la tuer. Et, à en juger par l’expression de son visage, cela me semblait tout à fait probable. Comment pouvait-on se fier à Cary Grant, me demandais-je, un homme qui semblait tout entier fait de bois bien ciré ?

Elle n’avait pas besoin d’entendre leur dialogue ; si elle comptait bien, elle avait vu ce film treize fois. Elle n’avait lu que deux fois le roman posé sur ses genoux, et ce sera donc avec un plaisir particulier qu’elle revisitera ces paragraphes qu’elle ne connaît pas encore par cœur.

Depuis l’ombre du jardin en bas, je distinguai l’idée claire et résignée qu’elle se faisait d’elle-même, sans exagération théâtrale et détachée du mauvais goût affiché qui l’entourait. Ses quelques trésors auraient pu tenir dans une armoire. Le livre et l’écran du téléviseur comptaient plus pour elle que toutes ses autres possessions, et elle avait conscience de leur caractère spirituel. Même la couleur de ses vêtements, fonctionnels et sans style, ne l’intéressait pas.

Mon tueur vagabond était au bord de la paralysie, son esprit envahi d’instants si personnels qu’ils défiaient l’interprétation.

Je contournai discrètement le petit immeuble de stuc et découvris l’escalier qui menait à la porte de sa cuisine. La serrure céda facilement quand je lui en donnai l’ordre. Et la porte s’ouvrit comme si je l’avais touchée, alors que ce n’était pas le cas.

Sans un bruit, je me glissai dans la petite pièce aux carreaux de linoléum. La puanteur du gaz émanant de la petite cuisinière blanche m’écœurait. Tout comme l’odeur du savon dans son petit récipient de céramique. Mais cette cuisine aussitôt toucha mon cœur. Elle était si belle, la porcelaine chérie aux motifs chinois bleus et blancs, si soigneusement entassée, avec les assiettes bien en vue. J’aperçus les livres de cuisine aux pages cornées. Et comme elle était immaculée, cette table avec sa toile cirée étincelante d’un jaune pur, et le lierre artificiel poussant dans un bocal rond d’eau claire qui projetait sur le plafond bas un unique cercle tremblant de lumière.

Ce qui s’imposa à mon esprit tandis que j’étais planté là, crispé, à refermer la porte avec mes doigts, c’était que, tout en lisant son roman, tout en jetant de temps en temps un coup d’œil à l’écran scintillant, elle n’avait pas peur de la mort. Elle n’avait aucune antenne intérieure pour capter la présence de l’étrange créature qui attendait dans la rue voisine, plongée dans la folie, ni du monstre qui hantait maintenant sa cuisine.

Le tueur était si totalement plongé dans ses hallucinations qu’il ne voyait pas les gens autour de lui. Il ne remarqua pas la voiture de police qui patrouillait, pas plus que les regards méfiants et délibérément menaçants des mortels en uniforme qui savaient tout de lui, qui savaient qu’il allait frapper ce soir, mais pas qui il était.

Un mince filet de bave descendit sur son menton mal rasé. Rien n’avait de réalité pour lui, ni sa vie quotidienne ni sa crainte d’être découvert – il n’y avait que le frisson électrifiant que ces hallucinations faisaient passer dans son torse puissant, dans ses bras et dans ses jambes mal assurées. Sa main gauche eut une brusque crispation. Un rictus lui tordit le côté gauche de la bouche.

Que ce type me faisait horreur ! Je ne voulais pas boire son sang. Ce n’était pas un tueur de classe. C’était son sang à elle qui me faisait envie.

Comme elle était songeuse dans sa solitude et son silence, comme elle était menue, contente, son regard concentré comme un faisceau de lumière tandis qu’elle lisait les paragraphes de cette histoire qu’elle connaissait si bien. Elle voyageait, elle remontait le temps jusqu’à cette époque où elle avait pour la première fois lu ce livre, dans un café bondé de Lexington Avenue à New York, du temps qu’elle était une jeune secrétaire élégamment vêtue d’une jupe de lainage rouge et d’un corsage blanc plissé avec des boutons de manchettes en nacre. Elle travaillait alors dans un immeuble de bureau en pierre, une tour absolument somptueuse, avec des ascenseurs aux portes de cuivre décorées et des couloirs dallés de marbre jaune sombre.

J’aurais voulu presser mes lèvres contre ses souvenirs, sur le bruit qu’elle n’avait pas oublié de ses hauts talons claquant sur les dalles de marbre, sur l’image de son jarret bien tourné sous le bas de soie qu’elle enfilait avec tant de soin pour ne pas le prendre dans ses longs ongles vernis. Je vis un instant ses cheveux roux ; je vis son chapeau jaune extravagant qui aurait pu être hideux et qui pourtant était charmant.

Voilà du sang qu’il serait bon d’avoir. Et j’étais affamé, affamé comme je l’avais rarement été depuis toutes ces décennies. Le jeûne que je m’étais imposé avait été presque plus que je n’en pouvais supporter. Oh ! Seigneur Dieu, j’avais tellement envie de la tuer !

En bas dans la rue, un faible gargouillis sortit des lèvres de ce tueur stupide et maladroit. Il parvint à se frayer un chemin à travers le torrent impétueux d’autres bruits qui venaient se déverser dans mes oreilles de vampire.

Le monstre enfin s’écarta du mur en titubant, chancelant un moment comme s’il allait s’étaler, puis il s’avança vers nous dans la petite cour et gravit les marches.

Vais-je le laisser effrayer cette femme ? Cela semblait inutile. Je l’ai dans ma ligne de mire, n’est-ce pas ? Je le laissai pourtant introduire dans le trou rond de la serrure son petit instrument de métal, je lui donnai le temps de forcer le verrou. La chaîne s’arracha à la boiserie pourrie.

Il entra dans la pièce, fixant sur la vieille un regard sans expression. Elle était terrifiée, recroquevillée dans son fauteuil, le livre glissant par terre.

Ah ! mais voilà qu’il me vit sur le seuil de la cuisine : l’ombre d’un jeune homme en velours gris, les lunettes relevées sur son front. Je le considérai avec la même absence d’expression que lui. Voyait-il ces yeux iridescents, cette peau comme de l’ivoire poli, ces cheveux comme une silencieuse explosion de lumière blanche ? Ou bien n’étais-je qu’un obstacle entre lui et son sinistre objectif, tant de beauté gâchée ?

En une seconde, il décampa. Il dévalait les marches tandis que la vieille femme poussait un hurlement et se précipitait pour claquer la porte.

J’étais sur ses talons, sans prendre la peine de toucher la terre ferme, le laissant me voir immobilisé un instant sous le lampadaire au moment où il tournait le coin. Nous continuâmes sur la moitié d’un bloc avant que je ne me laisse flotter vers lui, forme floue pour les mortels qui ne prirent pas la peine de me remarquer. Puis je m’immobilisai auprès de lui et j’entendis son gémissement tandis qu’il se mettait à courir.

Pendant des blocs, nous jouâmes à ce jeu. Il courait, il s’arrêtait, il m’apercevait derrière lui. La sueur ruisselait sur tout son corps ; elle trempait ses sous-vêtements de coton, sa chemise sans manche. Bientôt le mince nylon de celle-ci devint transparent, se collant à la chair imberbe de sa poitrine.

Il finit par arriver devant son minable hôtel et fonça dans l’escalier. J’étais dans la petite chambre mansardée avant qu’il n’y arrive. Il n’avait pas eu le temps de pousser un cri que je le pris dans mes bras. La puanteur de ses cheveux sales me monta aux narines, se mêlant aux relents des fibres synthétiques de la chemise. Mais peu m’importait maintenant. Il était puissant et tiède dans mes bras, comme un chapon juteux, sa poitrine se soulevant contre moi, l’odeur de son sang envahissant mon cerveau. Je l’entendais qui faisait palpiter oreillettes, ventricules et vaisseaux douloureusement contractés.

Son cœur peinait et n’était pas loin d’éclater – attention, attention, ne va pas l’écraser. Je plantai mes dents dans la peau humide et tannée de son cou. Hmmm. Mon frère, mon pauvre frère aux idées confuses. Mais c’était bon, c’était somptueux.

Une fontaine s’ouvrit ; sa vie était un égout. Toutes ces vieilles femmes, tous ces vieillards ; tels des cadavres desséchés flottant au gré du courant, ils se heurtaient au hasard tandis que lui s’amollissait dans mes bras. Ce n’était pas du sport. Trop facile. Pas de finesse. Pas de malice. Aussi bête qu’un lézard, gobant une mouche après l’autre. Seigneur Dieu, savoir cela, c’est connaître l’époque où les reptiles géants régnaient sur la terre et où, pendant un million d’années, leurs yeux jaunes étaient les seuls à voir la pluie tomber ou le soleil se lever.

Qu’importe. Je le lâchai, et il s’effondra sans bruit, délivré de mon étreinte. Je nageais dans son sang de mammifère. Pas mal. Je fermai les yeux, laissant ce tourbillon brûlant pénétrer mes intestins, ou ce qu’il pouvait bien y avoir maintenant dans ce robuste corps si pâle. Dans un vertige, je le vis qui se traînait à genoux sur le sol. Avec une si exquise maladresse. Ce fut si facile de le ramasser parmi le désordre des journaux froissés et déchirés, la tasse renversée répandant son café froid sur le tapis poussiéreux.

Je le tirai par son col. Ses grands yeux vides roulaient dans leurs orbites. Puis il me lança un coup de pied, à l’aveuglette, cette brute, ce tueur des vieux et des faibles, sa chaussure m’éraflant le devant de la jambe. Je le soulevai de nouveau jusqu’à ma bouche avide, mes doigts glissant dans sa chevelure et je le sentis se raidir comme si mes crocs avaient trempé dans du poison.

Le sang revint déferler dans mon cerveau. Je le sentais qui électrisait les petits vaisseaux de mon visage. Je le sentais palpiter jusque dans mes doigts et un picotement brûlant me descendait le long du dos. Une gorgée après l’autre venait me rassasier. Succulente et lourde créature. Puis je le lâchai une fois encore et, quand il s’affala cette fois, je m’approchai, le traînant sur le plancher, tournant son visage vers moi, puis le tirant en avant et le laissant se débattre encore.

Il s’adressait à moi maintenant dans quelque chose qui aurait dû être un langage, mais qui n’en était pas un. Il essayait de me repousser, mais il n’y voyait plus clair. Et, pour la première fois, une tragique dignité l’envahissait, une vague expression scandalisée, si aveugle qu’il fût. Il me semblait que j’étais embelli et enveloppé maintenant dans de vieux contes, dans des souvenirs de statues de plâtre et de saints anonymes. Ses doigts griffaient la cambrure de ma chaussure. Je le soulevai et quand je lui déchirai la gorge cette fois, la plaie était trop large. C’était fini.

La mort arriva comme un coup de poing dans le ventre. Un moment, j’éprouvai une nausée, puis je sentis simplement la chaleur, la plénitude, le pur rayonnement du sang vivant, avec cette ultime vibration de conscience qui traversait tous mes membres.

Je m’effondrai sur son lit crasseux. Je ne sais pas combien de temps je restai étendu là.

Je gardai les yeux fixés sur son plafond bas. Et puis, quand les âcres odeurs de moisi de la chambre m’entourèrent en même temps que la puanteur de son corps, je me levai et je sortis en trébuchant, silhouette aussi disgracieuse assurément qu’il l’avait été, me laissant aller à ces gestes de mortel, des gestes de rage et de haine, mais silencieux, car je ne voulais pas être la créature en apesanteur, la créature ailée, le voyageur de la nuit. J’avais envie d’être humain et de me sentir humain, son sang trouvait son chemin dans tout mon être, et cela ne me suffisait pas. Loin de là !

Où sont toutes mes promesses ! Palmes raides et meurtries qui battent contre les murs de stuc.

« Oh, vous êtes revenu », me dit-elle.

Elle avait une voix si basse, si forte, qui ne tremblait pas. Elle était plantée devant l’horrible fauteuil à bascule écossais, avec ses accoudoirs en acajou usé, et elle me dévisageait derrière ses lunettes à monture d’argent, sa main crispée sur son roman. Sa bouche était petite et déformée et révélait quelques dents jaunies, un affreux contraste avec la sombre personnalité de la voix qui ne révélait aucune infirmité.

Au nom du ciel, à quoi pensait-elle en me souriant ? Pourquoi ne prie-t-elle pas ?

« Je savais que vous viendriez », dit-elle. Puis elle ôta ses lunettes, et je m’aperçus qu’elle avait les yeux vitreux. Qu’est-ce qu’elle voyait ? Qu’est-ce que je lui faisais voir ? Moi qui peux contrôler sans erreur tous ces éléments, j’étais si déconcerté que j’en aurais pleuré. « Oui, je le savais.

— Oh ? Et comment le saviez-vous ? » murmurai-je en m’approchant d’elle, appréciant l’intimité de cette banale petite pièce.

Je tendis la main avec ces doigts monstrueux, trop blancs pour être ceux d’un homme, assez robustes pour lui arracher la tête, et je palpai sa petite gorge. Elle sentait l’eau de Cologne… ou quelque autre parfum de bazar.

« Oui, dit-elle d’un ton dégagé mais sans réplique. Je l’ai toujours su.

— Alors, embrassez-moi. Aimez-moi. »

Comme elle était brûlante et comme ses épaules étaient menues, comme elle était superbe dans cet ultime flétrissement, la fleur se teintant de jaune, mais embaumant encore, ses pâles veines bleues dansant sous sa peau flasque, les paupières suivant parfaitement le modelé de ses yeux quand elle les fermait, la peau glissant sur les os de son crâne.

« Emmenez-moi au ciel, dit-elle, d’une voix qui venait du cœur.

— Je ne peux pas. Je voudrais bien », murmurai-je à son oreille.

Je refermai mes bras autour d’elle. Je me blottis dans le doux nid de ses cheveux gris, je sentis ses doigts sur mon visage comme des feuilles sèches et un doux frisson me parcourut. Elle aussi tremblait. Ah ! petite chose tendre et épuisée, ah ! créature réduite à la pensée et à la volonté avec un corps sans plus de substance qu’une flamme fragile ! Juste une petite gorgée, Lestat, pas davantage.

C’était trop tard, et je le sus quand la première giclée de sang atteignit ma langue. J’étais en train de la vider. Le bruit de mes gémissements avait sûrement dû l’inquiéter, mais déjà elle n’entendait plus… Ils n’entendent jamais les vrais sons dès l’instant où ça a commencé.

Pardonne-moi.

Oh, chéri !

Nous nous affalions ensemble sur le tapis, comme des amants sur un carré de fleurs aux couleurs fanées. Je vis le livre tombé là, et le dessin sur la couverture, mais tout cela me paraissait irréel. Je la serrais contre moi avec tant de précaution, de crainte de la casser. Mais c’était moi la coquille vide. Sa mort arrivait rapidement, comme si elle-même s’avançait vers moi dans un large couloir, dans quelque bâtiment imposant et extrêmement bizarre. Ah ! oui, le marbre jaune. New York, et même de là-haut on entend la circulation et ce choc sourd quand une porte claque sur un escalier au bout du couloir.

« Bonne nuit, mon chéri », chuchota-t-elle.

Est-ce que j’entends des choses ? Comment peut-elle encore articuler des mots ?

Je t’aime.

« Oui, chéri. Je t’aime aussi. »

Elle était plantée dans le vestibule. Ses cheveux roux et lisses tombaient joliment sur ses épaules ; elle souriait et c’étaient ses talons qui jadis faisaient ce claquement sec et séduisant sur le marbre, maintenant il n’y avait plus que le silence autour d’elle tandis que les plis de sa jupe de lainage bougeaient encore ; elle me regardait avec une expression de si étrange malice ; elle prit un petit pistolet noir à canon court et le braqua sur moi.

Que diable es-tu en train de faire ?

Elle est morte. La détonation fut si forte que pendant un moment je n’entendis plus rien. Seulement ces échos qui résonnaient à mes oreilles. J’étais allongé sur le sol à regarder fixement le plafond au-dessus de moi, avec une odeur de poudre qui flottait dans un couloir de New York.

Mais on était à Miami. On entendait le tic-tac de son réveil sur la table. Du cœur surchauffé du téléviseur venait la voix menue et pincée de Cary Grant déclarant à Joan Fontaine qu’il l’aimait. Et Joan Fontaine était si heureuse. Elle avait pourtant bien cru que Cary Grant voulait la tuer.

Et moi aussi.

South Beach. Faites-moi retrouver le Neon Strip. Seulement cette fois je quittai les trottoirs encombrés pour descendre sur le sable et me diriger vers la mer. Je marchai et je marchai jusqu’à ce qu’il n’y eût plus personne près de moi – pas même ceux qui se promènent sur la plage ou les amateurs de bain de minuit. Il n’y avait que le sable, le vent avait déjà effacé toutes les empreintes de la journée, et le grand océan gris de la nuit projetait son ressac sans fin sur la grève patiente. Comme les cieux qu’on voyait étaient hauts, avec quelle rapidité passaient les nuages et que semblaient lointaines les discrètes étoiles.

Qu’avais-je fait ? Je l’avais tuée, elle, sa victime, j’avais éteint la lumière de celle que je devais sauver. J’étais revenu m’allonger auprès d’elle et je l’avais prise, et elle avait tiré trop tard le coup de feu invisible.

Et voilà que la soif me reprenait.

Après cela, je l’avais allongée sur son petit lit bien fait, sur la triste couverture de nylon, en lui croisant les bras et en lui fermant les yeux.

Mon Dieu, aidez-moi ! Où sont mes saints anonymes ? Où sont les anges avec le plumage de leurs ailes pour me descendre en enfer ? Quand ils viennent enfin, est-ce la dernière belle chose qu’on voie ? Quand on plonge dans le lac de feu, peut-on suivre encore leur progression vers le ciel ? Peut-on espérer un dernier aperçu de leurs trompettes dorées et de leurs visages levés reflétant le rayonnement du visage de Dieu ?

Qu’est-ce que je connais du paradis ?

Je restai là de longs moments, à fixer le lointain paysage nocturne des nuages, puis mon regard revint aux lumières clignotantes des nouveaux hôtels, à l’éclat des phares de voitures.

Un mortel esseulé se tenait sur le trottoir d’en face, regardant dans ma direction, mais peut-être n’avait-il absolument pas remarqué ma présence : un minuscule personnage au bord du vaste océan. Peut-être regardait-il seulement vers la mer comme je l’avais fait, comme si la grève était une terre de miracle, comme si l’eau pouvait laver nos âmes.

Autrefois le monde n’était rien que la mer ; la pluie était tombée pendant cent millions d’années ! Mais le cosmos aujourd’hui grouille de monstres.

Il était toujours là, ce mortel solitaire et contemplatif. Et peu à peu je compris qu’à travers l’étendue déserte de la plage et ses ténèbres fragiles, les yeux du mortel étaient intensément fixés sur les miens. Oui, ils me regardaient.

D’abord, j’y pensai à peine, ne l’apercevant que parce que je ne me donnais pas la peine de tourner la tête. Puis une étrange sensation m’envahit, comme je n’en avais encore jamais connu.

Quand cela commença, je fus pris d’un léger vertige, puis des petits picotements suivirent, me parcourant le torse, puis les membres. J’avais l’impression que mes bras et mes jambes se crispaient, se rétrécissaient et que leur substance ne cessait de se comprimer. C’était même une sensation si précise que j’avais l’impression qu’on me pressait jusqu’à me faire sortir de moi-même. Je m’en étonnais. Il y avait dans cette impression quelque chose de légèrement délicieux, surtout pour un être aussi dur, froid et imperméable à toute sensation que moi. C’était irrésistible, tout à fait comme boire le sang donne des joies irrésistibles, même s’il n’y avait rien là d’aussi viscéral. Et puis à peine avais-je analysé cette impression que je me rendis compte qu’elle avait disparu.

Je frémis. N’avais-je pas imaginé tout cela ? Je contemplais toujours ce mortel au loin – pauvre âme qui me considérait sans savoir le moins du monde qui ni ce que j’étais.

Un sourire s’épanouissait sur son visage juvénile, un sourire fragile et plein d’un fol émerveillement. Et je m’aperçus peu à peu que j’avais déjà vu ce visage. Je fus encore plus stupéfait de lire maintenant sur ses traits un certain air de reconnaissance et comme une étrange attente. Soudain il leva la main droite et l’agita.

Déconcertant.

Je connaissais ce mortel. Non, il serait plus exact de dire que je l’avais aperçu plus d’une fois, et puis quelques souvenirs précis me revinrent avec force.

Venise, où il rôdait au bord de la place Saint-Marc, et des mois plus tard à Hong Kong, près du Marché de Nuit, et les deux fois je l’avais remarqué parce que lui-même m’avait remarqué. Oui, j’avais devant moi la même haute silhouette puissamment bâtie, et il avait la même épaisse chevelure aux boucles brunes.

C’était impossible. Ou bien voulais-je dire invraisemblable, puisqu’il était bien là !

Il fit de nouveau son petit salut de la main puis en hâte, avec même une grande maladresse, il se précipita vers moi, s’approchant de plus en plus de son pas incertain tandis que je l’observais avec une glaciale stupéfaction.

Je scrutai ses pensées. Rien. Tout cela était fermé à clé. Seul son visage souriant apparaissait de plus en plus nettement à mesure qu’il entrait dans le lumineux reflet de la mer. L’odeur de sa peur m’emplissait les narines en même temps que l’odeur de son sang. Car oui, il était terrifié, et pourtant follement excité. Voilà qu’il avait l’air soudain très appétissant : une victime de plus qui se jetait pratiquement dans mes bras.

Comme ses grands yeux bruns étincelaient. Et quelles dents éblouissantes il avait.

Il s’arrêta à un mètre de moi, le cœur battant, et de sa main humide tremblante me tendit une grosse enveloppe froissée.

Je le dévisageais toujours, sans rien révéler : pas d’orgueil blessé ni de respect pour ce stupéfiant exploit d’avoir réussi à me trouver ici, d’avoir osé. J’avais juste assez faim pour le vider de son sang et faire un nouveau festin sans plus y réfléchir. En le regardant, je ne raisonnais plus. Je ne voyais que le sang.

Et, comme s’il le savait, comme s’il le sentait pleinement, il se crispa, me jeta un regard bref et ardent, puis lança la grosse enveloppe à mes pieds et partit frénétiquement à reculons sur le sable. On aurait dit que ses jambes allaient se dérober sous lui. Comme il tournait des talons pour s’enfuir, il faillit tomber.

Ma soif s’apaisa un peu. Je ne raisonnais peut-être pas, mais j’hésitais, et cela semblait quand même impliquer quelque réflexion. Qui était ce petit salopard nerveux ?

Une fois encore, j’essayai de scruter ses pensées. Rien. C’était très étrange. Mais il y a des mortels qui tout naturellement voilent leurs pensées, même quand ils ne se rendent absolument pas compte qu’un autre pourrait fouiller leur esprit.

Il se hâtait toujours, claudiquant désespérément, puis sa fuite l’entraîna dans les ténèbres d’une rue adjacente.

Quelques moments s’écoulèrent.

J’avais maintenant perdu sa piste, il n’y avait plus que l’enveloppe qui était toujours là où il l’avait jetée.

Qu’est-ce que tout cela pouvait bien vouloir dire ? Il savait exactement où je me trouvais, pas de doute là-dessus. Venise et Hong Kong n’avaient pas été des coïncidences. Son brusque affolement, à défaut d’autre chose, en était la preuve assez claire. Je ne pouvais m’empêcher de sourire devant tant de courage. Imaginez un peu, suivre une créature comme moi.

Était-ce quelque adorateur à l’esprit dérangé, venu frapper à la porte du temple dans l’espoir que j’allais lui offrir le Don ténébreux simplement par pitié, ou en récompense de sa témérité ? Cela m’emplit soudain de colère et d’amertume, et puis, une fois de plus, je me désintéressai de la chose.

Je ramassai l’enveloppe et constatai qu’elle ne portait pas d’adresse et qu’elle n’était pas cachetée. Et je trouvai à l’intérieur rien moins qu’une nouvelle imprimée apparemment découpée dans un livre de poche.

Cela faisait une petite liasse de mauvais papier, maintenue par une agrafe dans le coin supérieur gauche. Pas la moindre note personnelle. L’auteur de la nouvelle était une sympathique créature que je connaissais bien, un homme du nom de H.P. Lovecraft, auteur de récits surnaturels et macabres. À vrai dire, je connaissais ce texte aussi et je n’avais jamais pu en oublier le titre : Le Monstre sur le Seuil. Cela m’avait fait rire.

Le Monstre sur le Seuil. Je souriais maintenant. Oui, je me souvenais de l’histoire, je me rappelais qu’elle était bien faite et que je l’avais lue avec plaisir.

Mais pourquoi cet étrange mortel me donnerait-il un tel récit ? C’était ridicule. Et soudain la colère me reprit, pour autant que ma tristesse me le permettait.

Je fourrai distraitement le paquet dans ma poche de manteau. Je méditai un instant. Oui, le garçon avait définitivement disparu. Je ne pourrais même pas capter chez personne d’autre une image de lui.

Oh ! si seulement il était venu me tenter quelque autre nuit, quand je n’avais pas l’âme malade et lasse, quand j’aurais pu m’y intéresser un peu – assez du moins pour découvrir de quoi il s’agissait.

Il semblait déjà que des éternités s’étaient écoulées depuis qu’il avait surgi et disparu. La nuit était vide, à part la rumeur bourdonnante de la grande ville et le fracas étouffé des brisants sur la plage. Même les nuages somptueux s’étaient effilochés avant de s’évanouir. Le ciel semblait désert dans son immensité et d’un calme désolant.

Je regardai l’éclat dur des étoiles au-dessus de ma tête, et je laissai le bruit sourd du ressac m’envelopper dans le silence. Je lançai un dernier regard, accablé aux lumières de Miami, cette ville que j’aimais tant.

Puis je m’élevai dans les airs, aussi simplement que s’élève une pensée, avec une telle rapidité qu’aucun mortel n’aurait pu voir cette silhouette monter de plus en plus haut dans le vent assourdissant, jusqu’à ce que la grande ville tentaculaire ne fût plus rien qu’une lointaine galaxie disparaissant lentement au regard.

Il faisait si froid dans ce vent d’altitude qui ne connaît pas de saison. Le sang que j’avais bu était englouti comme si sa douce chaleur n’avait jamais existé, et bientôt mon visage et mes mains furent revêtus d’une pellicule de givre comme si j’avais gelé sur place, et cette carapace se déplaçait sous mes fragiles vêtements, couvrant toute ma peau. Elle ne provoquait aucune souffrance. Ou disons plutôt qu’elle n’en causait pas assez.

En fait, cela tarissait simplement tout ce sentiment de confort. Ce n’était que la sombre et sinistre absence de tout ce qui fait le prix de l’existence : l’ardente chaleur des feux et (les caresses, des baisers) et des discussions, de l’amour, du désir et du sang.

Ah ! Les dieux aztèques avaient dû être des vampires bien avides pour convaincre ces malheureux humains que l’univers cesserait d’exister si le sang ne coulait plus. Imaginez-vous un peu présidant aux cérémonies devant un pareil autel, claquant des doigts pour réclamer une autre victime et une autre et une autre encore, pressant ces cœurs gorgés de sang sur vos lèvres comme des grappes de raisins.

Je virevoltai et me retournai avec le vent, je tombai de quelques mètres, puis m’élevai de nouveau, bras déployés joyeusement, puis retombai sur le côté. Je m’allongeai sur le dos comme un nageur sûr de ses mouvements, pour contempler une nouvelle fois les étoiles aveugles et indifférentes.

Par le seul effet de la pensée, je me propulsai vers l’est. La nuit s’étendait encore au-dessus de la ville de Londres, même si ses horloges égrenaient les heures du petit matin. Londres.

Le moment était venu de dire adieu à David Talbot.

Des mois s’étaient écoulés depuis notre dernière rencontre à Amsterdam, et je l’avais quitté si brutalement que j’en étais honteux, comme aussi de l’avoir tracassé. Depuis lors je l’épiais, mais sans l’importuner. Je savais que, quel que fût mon état d’esprit, il fallait maintenant que j’aille le trouver. Sans aucun doute il souhaitait ma venue. Je me devais de lui rendre visite.

Un moment je songeai à mon bien-aimé Louis. Sans doute était-il dans sa petite maison croulante blottie au cœur de son jardin marécageux de La Nouvelle-Orléans, lisant comme il le faisait toujours à la lueur de la lune, ou bien s’octroyant la flamme frissonnante d’une unique chandelle si d’aventure la nuit était sombre et nuageuse. Mais il était trop tard pour dire adieu à Louis… S’il y avait un être parmi nous qui comprendrait, c’était Louis. C’était du moins ce que je me disais. Le contraire sans doute est plus proche de la vérité…

Je poursuivis ma route vers Londres.

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